Lire le droit de réponse du Conseil National de l’Ordre des Médecins.
Les chirurgies chez les mineur·es trans
Sollicitée par l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, la section Éthique et Déontologie du Conseil National de l’Ordre des Médecins a rendu son avis sur la prise en charge chirurgicale des mineur·es trans. Cet avis renforce le droit des adolescent·es trans à bénéficier de chirurgies, et plus particulièrement, des torsoplasties.
Dans un article scientifique signé par Agnès Condat, David Cohen, et la Plateforme Trajectoires Jeunes Trans, dont le ReST est membre, publié en décembre 2022 en libre accès dans la revue à comité de lecture Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, on peut lire in extenso l’avis du Conseil National de l’Ordre des Médecins. Celui-ci conclut notamment que : “Dès lors que des actes de chirurgie esthétique peuvent être pratiqués sur des mineurs, une torsoplastie effectuée dans le cadre d’une transition de genre pourrait être considérée comme un acte de chirurgie réparatrice ou reconstructrice […] et être pratiquée sur un mineur après information et consentement de ce dernier et des titulaires de l’autorité parentale.” (cf. encadré)
Docteur, Nous nous permettons de revenir vers vous dans la mesure où nous venons de recevoir la réponse de la section Ethique et Déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins. Vous vous interrogez sur le consentement d’un patient mineur et des titulaires de l’autorité parentale pour la réalisation d’une torsoplastie dans le cadre de la prise en charge d’une dysphorie de genre. Vous vous interrogez en effet sur la notion de consentement pour l’ablation d’organes sains et sur la notion de « motif médical très sérieux », ainsi que sur la responsabilité du médecin en cas de remise en cause ultérieure de la transition par le mineur. Vous souhaitez également savoir si les chirurgiens doivent déclarer à l’Ordre des médecins les opérations effectuées dans ce contexte. Concernant la notion de consentement pour l’ablation d’organes sains par un mineur et les titulaires de l’autorité parentale : Selon l’article 16-3 du code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ». Les commentaires de l’article 41 du code de déontologie médicale rappellent que l’intervention chirurgicale sur une personne reconnue comme transsexuelle, après observation pluridisciplinaire prolongée dans le temps, est parfaitement admise. Ils précisent « Aussi, avant d’accéder à la demande d’un transsexuel, il est recommandé de prendre les précautions suivantes :
Il devra également, comme l’y oblige l’article 35 du code de déontologie délivrer une information loyale, claire et appropriée sur l’état de la personne, les investigations et les soins qu’il propose. Il devra recueillir le consentement libre et éclairé de la personne, et ce par écrit ». Dans le cas d’un patient mineur, on pourrait, par analogie, rappeler les dispositions concernant la chirurgie esthétique sur les mineurs dans la mesure où le chirurgien esthétique répond uniquement à une sollicitation subjective d’un patient mineur dont les organes sont « sains ». Ainsi l’article L. 6322-2 du Code de la santé publique prévoit que : « Pour toute prestation de chirurgie esthétique, la personne concernée, et, s’il y a lieu, son représentant légal s’il s’agit d’un mineur, son mandataire dans le cadre du mandat de protection future, la personne exerçant l’habilitation familiale ou son tuteur lorsque leur mission de représentation s’étend à la protection de la personne, doivent être informés par le praticien responsable des conditions de l’intervention, des risques et des éventuelles conséquences et complications ». Dès lors que des actes de chirurgie esthétique peuvent être pratiqués sur des mineurs, une torsoplastie effectuée dans le cadre d’une transition de genre pourrait être considérée comme un acte de chirurgie réparatrice ou reconstructrice (la transidentité ou « dysphorie de genre » ayant été classée dans la catégorie des affections de longue durée dites « hors liste »), et être pratiquée sur un mineur après information et consentement de ce dernier et des titulaires de l’autorité parentale. Dans son rapport Evaluation des conditions de prise en charge médicale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, l’IGAS indique toutefois que « Même si les psychiatres demeurent très prudents, les mineurs ne sont pas exclus par toutes les équipes : certains sont présentés en commission pluridisciplinaire en raison d’un risque psychopathologique élevé en l’absence de traitement. La plupart recommandent cependant une très grande prudence et d’attendre la fin de la puberté, à l’occasion de laquelle le trouble de l’identité de genre peut ou disparaître ou se transformer, avant d’engager tout traitement hormonal. La question de l’interruption de la puberté afin de faciliter la réassignation ultérieure n’est pas tranchée en France ». Concernant la responsabilité du médecin en cas de remise en cause ultérieure de la transition par le mineur : Les commentaires de l’article 41 du code de déontologie médicale rappellent également que : « Bien que sur le plan pénal, la finalité thérapeutique de la chirurgie de réassignation sexuelle confère au chirurgien l’impunité légale, ce dernier doit argumenter soigneusement sa décision et prévoir d’avoir éventuellement à s’en justifier en cas de litige ultérieur ». En outre, il incombe au chirurgien de refuser d’intervenir en cas de disproportion entre les risques et les avantages escomptés de l’acte chirurgical. Concernant la déclaration à l’Ordre des médecins de la constatation médicale du syndrome de dysphorie de genre : Il n’existe pas, à notre connaissance, de disposition prévoyant qu’un certificat de constat médical du syndrome de dysphorie de genre soit communiqué à l’Ordre des médecins. Par conséquent, si un Conseil départemental reçoit copie de certificats de constat médical du syndrome de dysphorie de genre, il doit procéder à leur destruction et prévenir les établissements de santé concernés qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que l’Ordre des médecins soit destinataire de ces certificats. Telles sont les observations du conseil national de l’Ordre des médecins. Nous restons, naturellement à votre disposition pour toutes informations complémentaires. Bien confraternellement, P/O Dr Jean-Jacques AVRANE |
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L’avis éthique du Conseil National de l’Ordre des Médecins ne concerne que les torsoplasties au bénéfice d’adolescents transmasculins, c’est-à-dire les seules chirurgies actuellement pratiquées en France pour les mineur·es trans. D’après les chiffres de l’assurance maladie publiés dans le rapport Picard-Jutant-IGAS, il n’y avait que 48 bénéficiaires de séjours hospitaliers pour soins parmi les mineur·es trans en 2020 (c’est-à-dire au maximum 48 torsoplasties ont été réalisées cette année-là).
Mais l’argumentation de l’Ordre des Médecins mérite qu’on s’y attarde, car elle ouvre un espace de possibilités pour d’autres opérations chirurgicales, notamment la féminisation faciale et l’augmentation mammaire, chez les adolescentes transféminines, mais aussi les chirurgies pelviennes.
En effet, l’avis éthique place les torsoplasties pour mineur·es trans sous deux régimes existants : (1) celui du “transsexualisme”, tel qu’il existe comme exception à l’article 41 du Code de Déontologie Médicale interdisant les “mutilations” ; et (2) celui des chirurgies esthétiques et réparatrices pour mineur·es (article L. 6322-2 du Code de la santé publique), qui autorise les interventions chirurgicales sur des organes “sains” sous réserve d’accord des représentants légaux. L’Ordre des Médecins privilégie même ce dernier régime, plus protecteur, car moins pathologisant, il précise en effet que la transidentité ou « dysphorie de genre » a été classée “dans la catégorie des affections de longue durée dites « hors liste », c’est-à-dire hors du champ des maladies mentales où elle était affectée avant 2010 (ALD 23).
Sous ce double-régime de protection, rien ne s’oppose à ce que d’autres chirurgies puissent bénéficier aux mineur·es trans qui les souhaitent : la féminisation faciale et la mammoplastie notamment, très demandées par les jeunes femmes trans n’ayant pu bénéficier de retardateurs de puberté et d’hormones à temps, peuvent-elles aussi être considérées comme des chirurgies esthétiques et réparatrices.
Il n’y a pas de raison non plus pour s’opposer aux chirurgies pelviennes. Bien qu’elles soient stérilisatrices pour la plupart d’entre elles, elles sont prévues par le régime d’exception aux “mutilations” du Code de Déontologie Médicale, auquel se réfère l’Ordre des Médecins. Des options de préservation de fertilité doivent par ailleurs être proposées systématiquement, sans qu’elles soient obligatoires. L’accord des représentants légaux doit être recueilli, et le consentement de l’adolescent·e aussi.
Sur la capacité de consentement de l’adolescent·e, une attention toute particulière doit être dédiée au consentement aux actes rendant infertile. Condat et Cohen écrivent à ce sujet, en parlant de la perte de chance sur la fertilité future des hormones sexuelles : “si l’information sur la préservation de fertilité pose en effet des questions et des difficultés du fait de l’immaturité de l’enfant pour aborder les questions de procréation, ces éléments doivent cependant être abordés. Récemment, l’outil MacArthur Competence Assessment Tool for Treatment (MacCAT-T), un questionnaire semi-structuré validé en Français a été utilisé pour évaluer l’aptitude des adolescents au consentement éclairé [186] […]. D’un point de vue éthique, en considérant le principe d’autonomie, imposer au jeune de renoncer à un traitement parce que sa capacité à consentir serait jugée insuffisante pourrait être plus problématique que d’accepter son choix exprimé même à considérer que ce choix serait seulement partiellement éclairé du fait d’une capacité à consentir qui ne serait pas totale [180].”
L’Ordre des Médecins recommande cependant : une observation clinique prolongée et compétente (expertise endocrinologique et psychiatrique notamment pour repérer d’éventuelles contre-indications) ; une période probatoire d’au minimum une année et psychothérapie d’essai avec le concours d’un spécialiste expérimenté dans les cas de transsexualisme ; consultation de plusieurs spécialistes avant de retenir l’indication d’intervenir chirurgicalement. La “période probatoire d’au minimum une année” avec “psychothérapie d’essai” laisse toutefois perplexe dans sa formulation : on ne sait quels sont les objectifs poursuivis par cette psychothérapie, qui doivent, en toute circonstance, ne pas viser à réprimer l’identité de genre de l’adolescent·e, protégée par la loi du 31 janvier 2022.
En outre, l’Ordre des Médecins précise qu’il “incombe au chirurgien de refuser d’intervenir en cas de disproportion entre les risques et les avantages escomptés de l’acte chirurgical”. L’article de Condat et Cohen revient en détail sur l’analyse de ces risques et avantages sur tous les soins affirmatifs de genre, rappelant notamment le risque de regret, évalué à ~1% des quelques 7928 patient·es ayant bénéficié d’une opération chirurgicale, et rappelle aussi que la bioéthique moderne doit aussi soupeser d’autres principes éthiques, notamment le principe de justice : des jeunes hommes cis mineurs ayant une gynécomastie peuvent bénéficier de torsoplastie, alors pourquoi ces interventions médicales seraient refusées à des jeunes hommes trans mineurs ?
L’article de Condat et Cohen assure que “chez les mineurs, conformément aux recommandations internationales, seules sont autorisées en France les torsoplasties”. Ces recommandations internationales, nourries par les données acquises de la science, ont toutefois évolué depuis la rédaction de l’article. Leur dernière version (septembre 2022) ne prévoit pas de seuil d’âge chez l’adolescent·e pour la féminisation faciale, l’augmentation mammaire, l’orchidectomie, l’hystérectomie, et la métoidioplastie, et laisse entrevoir des effets positifs pour la vaginoplastie chez les jeunes femmes trans mineures :
“Des données limitées existent sur les résultats des jeunes bénéficiant d’une vaginoplastie. De petites études ont rapporté une amélioration du fonctionnement psychosocial et une dysphorie de genre réduite chez les adolescentes ayant bénéficié d’une vaginoplastie (Becker et al., 2018; Cohen-Kettenis & van Goozen, 1997; Smith et al.,2001). Bien que les tailles d’échantillon soient petites, ces études suggèrent qu’il pourrait y avoir un bénéfice pour certaines adolescentes à bénéficier de ces procédures avant l’âge de 18 ans. Les facteurs en faveur de la poursuite de ces procédures pour les jeunes de moins de 18 ans incluent la disponibilité accrue d’un soutien par les membres de la famille, une plus grande aisance à gérer les soins post-opératoires (par exemple, entrée à l’université ou dans l’emploi), et la sécurité dans les espaces publics (pour réduire la violence transphobe) (Boskey et al., 2018; Boskey et al., 2019; Mahfouda et al., 2019). Au vu de la complexité et l’irréversibilité de ces procédures, une évaluation de la capacité de l’adolescente à adhérer aux recommandations de soins post-opératoires et à comprendre les impacts à long terme de ces procédures sur la fonction reproductive et sexuelle est cruciale (Boskey et al., 2019).”
En revanche, les recommandations internationales ne soutiennent pas la possibilité de phalloplastie chez les jeunes hommes trans mineurs : “Au vu de la complexité de la phalloplastie, et des niveaux actuels élevés de complications en comparaison à d’autres chirurgies affirmatives de genre, il n’est pas recommandé que cette chirurgie soit considérée chez les jeunes de moins de 18 ans à ce jour”.
Toujours sous le principe bioéthique de justice, nous observons que la vaginoplastie, non pratiquée chez les adolescentes trans mineures en France qui la demandent, reste largement pratiquée en revanche chez des enfants intersexes pré-pubères, et ce sans leur consentement. Les données de la SNIIRAM faisaient état, en 2017, de plus de 4000 opérations chirurgicales illégales réalisées dans l’année sur des enfants de moins de 5 ans. Ces opérations de conformation génitale aux stéréotypes du masculin et du féminin, censées avoir été interdites par un arrêté en application de la loi de bioéthique de 2021, ont toujours lieu, sous d’autres indications médicales. Le Collectif Intersexe Activiste précise à ce sujet : “aucun praticien ne présente la conformation comme seul motif d’intervention. Les mutilations intersexes sont aujourd’hui justifiées par des arguments relevant de la fonctionnalité, du développement psychosocial, ou encore du lien parental.”
Le corps médical refuse aux jeunes femmes trans qui le demandent ce qu’il impose aux enfants intersexes qui ne demandent rien : dans un cas comme dans l’autre, les jeunes sont privés de leur autonomie médicale pour des raisons qui ont plus à voir avec l’ordre moral du genre qu’au soin : les jeunes doivent obéir au stéréotype sexuel binaire et immuable qui leur a été assigné à la naissance, et se voient imposer une obligation de soins, ou opposer un refus de soins, sur des bases purement idéologiques de ce que doit être leur sexe.
Pour qui a suivi le débat sur l’accompagnement en santé des jeunes trans, l’article de Condat et Cohen est profondément éclairant sur bien des aspects évoqués : invalidation de “l’attente prudente” vis-à-vis des transitions sociales des enfants trans, aspects démographiques, invalidation de l’hypothèse d’un impact des réseaux sociaux sur l’émergence des transidentités, aspects éthiques relatifs aux regrets et retransitions, etc. Nous nous attardons spécifiquement aux aspects éthiques relatifs aux dispositifs de transition, sociale et médicale :
La transition sociale chez les enfants pré-pubères
Les interventions médicales ne sont pas pratiquées, et d’ailleurs pas recommandées, chez les enfants trans pré-pubères. En revanche, la transition sociale, c’est-à-dire la reconnaissance du prénom d’usage et de ses pronoms, est tout à fait possible chez l’enfant trans, et elle est même souhaitable. “Les études ont pu montrer un bénéfice important de la transition sociale chez les jeunes prépubères en termes de bien-être et de fonctionnement global (Sansfaçon et al., 2019 ; Olson et al., 2016 ; Durwood et al., 2017 ; Ashley, 2019)”.
L’article précise aussi que “depuis septembre 2021 en France, la circulaire Blanquer ‘Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire’ demande aux établissements scolaires d’employer le genre et le prénom choisis par le jeune sous réserve de l’accord de ses parents, ainsi que de mettre en place les aménagements pratiques pour permettre la transition.”
Il convient de repréciser, pour plus de clarté, que seul l’aménagement du prénom d’usage est soumis à accord parental, dans la circulaire Blanquer. Pour ce qui est de l’expression de genre, des normes vestimentaires et de l’usage des espaces d’intimités, ceux-ci sont déconditionnés de l’accord parental. Pour ce qui est de la reconnaissance des pronoms de l’enfant, la circulaire Blanquer, précise qu’elle peut être “une étape très importante” pour l’enfant, mais n’avance clairement aucune conditionnalité à l’accord parental. En outre, elle vient rappeler l’article 371-1 du code civil, et notamment que l’autorité parentale doit s’exercer dans le respect de l’enfant, et sans violences physiques et psychologiques, dont 60% des jeunes trans sont victimes dans le milieu intrafamilial. Le refus de reconnaître l’identité de genre d’un enfant trans est particulièrement préjudiciable à son développement psychosocial et son fonctionnement, il est désormais par ailleurs illégal de réprimer l’identité de genre des enfants trans (loi du 31 janvier 2022). En conclusion, la circulaire Blanquer doit être ré-élaborée pour mieux tenir compte des limites à l’autorité parentale tout comme des nouveaux dispositifs législatifs de lutte contre la transphobie.
Les retardateurs de puberté (ou GnRHa) chez les adolescent·es
L’Académie Nationale de Médecine, qui s’était déjà remarquée en s’opposant à la PMA pour toutes, a recommandé dans un avis publié en février 2022, “la plus grande réserve” sur l’usage des “bloqueurs d’hormones ou d’hormones du sexe opposé”, amalgamant sans précaution les deux. Cette recommandation dérive d’une lecture inattentive des effets indésirables, non pondérés par la probabilité de leur survenue lorsque les jeunes sont suivis selon les recommandations internationales, et non balancés par les effets bénéfiques attendus de ces médicaments.
L’article de Condat et Cohen revient quant à lui attentivement sur les effets bénéfiques, comme des effets indésirables. Les retardateurs de puberté, utilisés depuis des décennies en pédiatrie dans le cadre de la puberté précoce centrale, ont plusieurs intérêts majeurs pour les adolescent·es trans. Notamment ils permettent d’éviter le recours à des chirurgies ultérieures, comme la torsoplastie ou la féminisation faciale, permettent d’éviter la mue de la voix chez les jeunes filles trans. Entièrement réversibles, ils permettent “de se donner du temps pour apprécier la situation et élaborer pensée et représentations avant d’envisager un traitement hormonal de transition qui sera seulement partiellement réversible ou de laisser la puberté reprendre son cours physiologique.” “Plusieurs études ont été publiées soulignant les impacts positifs sur le devenir psychologique [5,21–23,26,28,30–32,35–46] ainsi que l’innocuité relative de la suspension de la puberté, dite ‘suppression de puberté’ [5,21–23,26,28,31,32,35–51].”
En termes d’effets indésirables, les principaux points d’attention concernent la densité minérale osseuse, qui doit être observée régulièrement, car elle diminue sous l’effet des retardateurs (mais revient à la normale quelques années après l’arrêt du traitement). “Quant aux éventuels effets cognitifs, les quelques études réalisées auprès d’adolescents ou de jeunes adultes, le plus souvent dans d’autres indications de prescription de GnRHa, ne sont pas en faveur d’effets négatifs sur le fonctionnement cognitif [147–151], émotionnel et psychosocial bien que certains résultats soient discutés [148]. La seule étude réalisée à ce jour en IRM fonctionnelle chez 20 adolescents trans traités par GnRHa versus 20 adolescents contrôles n’a pas montré d’effet des GnRHa sur le fonctionnement exécutif [151].”
Au total, les auteurs concluent que “le ratio bénéfice/risque semble suffisamment solide pour que cette proposition de soin soit reprise dans toutes les recommandations internationales dans des indications similaires.”
Une attention particulière doit être portée sur le cas des jeunes qui commencent les retardateurs de puberté, et qui prendront ensuite des hormones sexuelles : l’impact possible sur la fertilité future des hormones sexuelles oblige à discuter des options de préservation de fertilité en amont de la prise des retardateurs de puberté. Par ailleurs, les options de chirurgie futures sont réduites pour les jeunes filles trans qui prendraient successivement des retardateurs de puberté et des hormones sexuelles, de telle sorte que la jeune doit être informée des options chirurgicales au plus tôt, quand bien même celles-ci n’auraient pas lieu dans la minorité.
Les hormones sexuelles chez les adolescent·es
Les auteurs de l’article s’alarment de la désinformation médicale circulant sur les réseaux sociaux à l’égard des hormones sexuelles (et largement reprise, sans prudence, par l’Académie Nationale de Médecine) :
“Contrairement aux fausses informations fréquemment diffusées sur certains réseaux sociaux, de nombreuses études montrent que le traitement d’affirmation de genre par les hormones sexuelles n’a que peu d’effets secondaires [5,21,23,25–28,31,32,35–37,47–57]. Aucune référence n’est jamais avancée pour corroborer toutes les affirmations des auteurs de ces fausses informations en termes d’effets secondaires. En dehors du risque thromboembolique, sous estrogènes de 2,3 à 4,3 pour 1000 personne-années versus 1,0 à 1,8 pour 1000 dans la population générale et 3,5 pour 1000 chez les femmes cis sous contraceptifs [153–156], tous les autres risques sont en effet très rares d’après les études que nous avons précédemment citées. Ce risque thromboembolique sous traitement oestrogénique n’étant pas spécifique aux personnes transgenres est bien connu et peut être réduit en adaptant les modalités d’administration selon le contexte. De plus, ce risque dépend de l’âge et est donc beaucoup plus faible chez les adolescents que les taux mentionnés ci-dessus. Enfin, il est largement démontré, certes par des études empiriques sans groupe contrôle, que la transition hormonale lorsqu’elle est indiquée améliore la santé des personnes concernées en termes de santé mentale, d’insertion sociale et de qualité de vie [5,21–37]. C’est aussi ce que nous constatons à notre consultation.”
Les auteurs préviennent toutefois qu’il existe un risque sur la fertilité future, qui nécessite d’en informer l’adolescent·e et ses représentants légaux : “[cette information] demande à être délivrée avec précaution, dans un cadre et une relation thérapeutique déjà favorablement établis. Il s’agit pour le jeune, d’une part,et pour ses parents, d’autre part, de parvenir à élaborer une pensée et un discours propres en tant que sujets, afin de pouvoir ensuite prendre les décisions nécessaires.” Des consultations de préservation de fertilité doivent être proposées en amont de la prescription d’hormones, sans qu’elles soient obligatoires.
Les Réunions de Concertation Pluridisciplinaires (RCP)
Qu’il s’agisse de retardateurs de puberté, d’hormones sexuelles ou de chirurgies, l’ensemble des soins affirmatifs de genre sont d’abord discutés en RCP. “La dimension pluridisciplinaire est assurée par la présence de psychiatres d’enfant et d’adolescent, de psychiatres d’adulte, de psychologues, de psychanalystes, de psychomotriciens, d’endocrinologues, de pédiatres, de biologistes de la reproduction, d’infirmiers, d’éthiciens, de juristes, des représentants d’associations de personnes concernées, et d’anthropologues. Ces réunions sont sollicitées pour des discussions avant toute décision à caractère d’hormonothérapie ou de chirurgie, pour avis clinique sur des situations particulières, et permettent le partage et la confrontation des expériences vers une harmonisation des pratiques.”
Si nous pouvons nous satisfaire de l’amélioration de soins promise par la confrontation des avis pluridisciplinaires, nous pouvons toutefois regretter les objectifs de la RCP, conçue pour être un espace de discussions et de production d’avis cliniques, mais qui outrepasse cette conception en devenant une instance de validation ou d’invalidation des demandes, en témoigne plusieurs passages de l’article, à propos de la prescription d’hormones (“Cette prescription n’est cependant en rien systématique et la décision est prise en RCP”) ou des interventions chirurgicales (“ces interventions sont toutes discutées longuement au préalable avec le jeune concerné mais aussi avec ses parents et avec les chirurgiens, la décision étant prise en RCP”).
Les droits des patients demeurent respectés, car “la discussion d’une situation clinique en RCP requiert l’accord préalable de la personne concernée et de ses parents s’il s’agit d’un mineur”, et parce que “la décision en RCP vient dans la continuité de tout un accompagnement de l’adolescent et de ses parents et constitue ainsi une décision conjointe. Le jeune ainsi que ses parents ont la possibilité de s’exprimer au cours de cette réunion à laquelle ils peuvent assister s’ils le souhaitent, ou bien adresser un courrier ou encore se faire représenter par un tiers de confiance.”
Si les RCP, dans cette configuration accessible aux personnes concernées, demeurent le lieu d’une décision conjointe, rien n’est dit sur les possibilités de soins offertes aux jeunes qui refuseraient leur passage en RCP, qui peuvent en toute raison penser que celle-ci est obligatoire. De plus, l’avis d’une RCP, tel que formulé par la Haute Autorité de la Santé (HAS), ne s’impose pas systématiquement : celle-ci écrit que “si le traitement effectivement délivré diffère de la proposition de la RCP, les raisons doivent être argumentées par le médecin référent et inscrites dans le dossier du patient.” Si la HAS reconnaît le caractère non-contraignant des décisions prises en RCP, tout laisse à penser que les RCP telles qu’elles sont conçues pour les mineur·es trans, sont à la fois obligatoires et décisives.
Les RCP doivent être des choix réels pour les adolescent·es et leurs parents, destinés à améliorer au mieux l’information médicale des personnes concernées, plutôt que des passages obligés. Pour cela, la RCP ne doit pas être perçue comme obligatoire. Un refus de soins qui découlerait d’un refus du patient de soumettre sa situation en RCP doit toujours faire l’objet d’une évaluation éthique : quels risques laisse-t-on encourir à un adolescent·e qui ne bénéficie pas de soins démontrés comme bénéfiques ?
Le caractère obligatoire et décisif de ces RCP structure le modèle de soins proposé aux jeunes trans. Dès lors que l’on reconnaît, selon les principes éthiques de bienfaisance, non-nuisance, autonomie et justice, l’utilité des soins affirmatifs de genre pour le développement d’un·e jeune trans, aucune RCP ne devrait s’imposer à cet·te jeune. Le modèle de soins qui en découle, fondé sur le consentement libre et éclairé du jeune et des parents, peut alors être déployé en médecine de ville, avec possibilité – non une obligation – de passage dans une RCP aux avis non-contraignants.
Pour la santé et le droit à l’autodétermination des jeunes trans, le ReST s’engage à développer un tel modèle de soins, dès 2023. Bonne année, et n’oubliez pas de renouveler votre cotisation !