
Quatre ans après sa saisine par le Ministère de la Santé, et avec deux ans de retard sur son calendrier prévisionnel, la Haute Autorité de Santé (HAS) livre, ce vendredi 18 juillet 2025, les très attendues recommandations de bonnes pratiques sur les parcours de soins des personnes trans. Pour les soignant·es des adultes trans, il s’agit d’un texte fondamental qui révolutionne le cadre de prise en charge en dépsychiatrisant l’accès aux soins et en centralisant le rôle des médecins généralistes. Pour les adultes trans, il s’agit d’un pas, quoique inassumé et crispé, vers la reconnaissance de l’autodétermination du genre en tant que droit médical ; et d’un levier considérable pour l’amélioration de leur santé globale. La HAS n’a toutefois pas échappé à la pression extrême réalisée par les lobbies et la presse transphobes, en concédant une spectaculaire reculade sur l’accès aux soins des mineur·es trans.
Le consensus médical français le plus important depuis 1979
Les soins d’affirmation de genre existent en France pour les adultes depuis 1979, avec la mise en place d’une équipe médicale hospitalière parisienne constituée d’un chirurgien (Banzet), d’un psychiatre (Breton) et d’un endocrinologue (Luton). Le protocole permet, d’après des critères de sélection drastique, l’hormonothérapie et les chirurgies de réassignation sexuelle. Il sera recommandé en 1989 par une lettre de l’assurance maladie (lettre-réseau illégale car non publiée à l’époque), et donna lieu à une publication en 2001 le résumant et revenant sur les 20 années précédentes de prise en charge.
Cette publication de 2001 permet de mettre en évidence que le rôle de la psychiatrie fut fondamental dans le triage des “candidats transsexuels” : sur les 800 personnes demandeuses de soins d’affirmation de genre reçues en consultation, 75 % furent exclues de ces soins. Entre autres motifs de refus de soins : l’homo- ou bi-sexualité (dans le genre affirmé), la non-binarité, le fait de ne pas vouloir être stérilisé·e, le fait d’être marié·e, d’avoir des enfants, d’être séropositif·ve, d’être travailleur·se du sexe, etc. Les propos de Colette Chiland, psychiatre, dans cette publication, illustrent l’autre rôle des professionnels de la santé mentale : considérant que le traitement hormono-chirurgical est une “réponse folle” à une “demande folle”, elle avance la nécessité “d’améliorer l’abord psychothérapique” visant à “changer ce qu’il y a dans la tête” des patient·es. Les thérapies de conversion étaient alors présentées comme un moindre mal pour éviter le rejet social des personnes souhaitant s’engager dans un parcours de transition.
De ce protocole de 1979, il reste encore aujourd’hui des traces dans la pratique médicale française. Les chirurgies d’affirmation de genre sont, depuis cette époque, considérées par l’Ordre des Médecins comme une exception au régime légal d’interdiction des “mutilations”, et les personnes qui y ont recours doivent au préalable effectuer une “période probatoire d’au minimum une année et psychothérapie d’essai avec le concours d’un spécialiste expérimenté dans les cas de transsexualisme”. Jusqu’en 2024, l’assurance maladie exigeait toujours une attestation psychiatrique pour donner droit à une prise en charge au titre de l’Affection Longue Durée ; et un certificat “tripartite” (attestation d’un·e chirurgien·ne, d’un·e endocrinologue, et d’un·e psychiatre) avant une opération mammaire ou pelvienne. Encore aujourd’hui, de nombreux·ses praticien·nes demandent cette attestation psychiatrique pour se sécuriser juridiquement, démontrant le flou juridique laissé par le manque de recommandations médicales fortes et actualisées.
Ce manque vient d’être comblé par la publication aujourd’hui des recommandations de la HAS, suscitées par la déclassification par l’Organisation Mondiale de la Santé des transidentités du champ des maladies mentales. Cette dépsychopathologisation a amené la HAS à repositionner le rôle de la psychiatrie dans les parcours de soins, cette fois-ci en soutien à la personne, mobilisable au besoin, et non en filtre diagnostique systématique. Cette dépsychiatrisation de l’accès aux soins se double d’une re-spécialisation médicale de la prise en charge médicale initiale : les médecins généralistes sont désormais positionnés de façon centrale, tant par leur rôle de prescription d’hormones en premier recours pour les personnes qui la souhaitent, que de coordination du parcours de soins.
Les parcours de soins eux-mêmes sont appelés à se décloisonner de l’hôpital, pour investir la médecine de ville. Outre les médecins généralistes libéraux, les centres de santé sexuelle, les CSAPA, les CMP, et même les associations de santé communautaires, sont autant de lieux de repérage et d’accueil d’une demande de transition, ainsi que de prise en charge médicale initiale. Lorsque les médecins de premier recours font face à un cas complexe, iels peuvent demander un second avis, spécialisé, ou faire appel à une réunion de concertation pluridisciplinaire.
La HAS reconnaît le rôle important des associations de personnes concernées, tant dans l’information et l’accès aux soins, que dans le soutien psychosocial, et la lutte contre les discriminations, et recommande leur inclusion ainsi que celle des pairs-aidant·es dans les instances de santé. Il est recommandé aux soignant·es d’orienter au besoin les personnes vers des associations locales et utiliser des ressources communautaires.
La vision des parcours de transition n’est plus binaire et figée comme elle l’a été par le passé. Toutes les variations de genre sont considérées également, sans discrimination, dans un cadre et un langage dépathologisés. Qu’il s’agisse d’une femme trans, d’un homme trans, d’une personne non-binaire, genderqueer, gender fluid, en questionnement, ou d’une personne détrans, l’accès aux soins ne peut leur être refusé, et les soins proposés doivent être adaptés à la personne.
Des perspectives pour les acteurs institutionnels du public sont formulées en préambule, notamment à l’égard de l’Assurance Maladie. Plus précisément, les recommandations appellent à “l’adaptation de la réglementation de la prescription, de la dispensation, et de la prise en charge des médicaments”, ce qui pourrait amener à sécuriser la primoprescription de testostérone aux médecins généralistes par l’ANSM, et permettre une prise en charge des soins hormonaux même en l’absence d’Autorisation de Mise sur le Marché sur l’indication de transidentité.
Une autodétermination reconnue partiellement
Le texte de 300 pages a été produit principalement par un consensus d’expert·es (soignant·es et/ou usager·ères) constitué autour d’un groupe de travail dont la composition et les liens d’intérêt sont publics. Cette expérience au plus près du terrain, médical et communautaire, permet une compréhension la plus fine et complète possible des études informant des effets des soins d’affirmation de genre. Il apparaît évident, au vu du grand nombre “d’accords d’experts” associés aux recommandations, que la rareté des études sur le sujet de la santé trans nécessitait la recherche longue d’un consensus d’expert·es représentatif·ves du champ de la santé trans telle qu’elle se pratique aujourd’hui.
En effet, outre des éléments clairement hostiles aux personnes trans, et parfaitement dispensables, ce groupe de travail était entre autres composé de membres de deux organisations distinctes aux histoires fortement antagonistes : Trans Santé France, organisation issue de la SoFECT et des équipes médicales hospitalières qui ont reproduit pendant des décennies le protocole de 1979 ; et notre Réseau Santé Trans (ReST), constitué de professionnel·les de santé et d’associations de personnes concernées, héritier·ères et militant·es d’une lutte sociale ayant pour but la reconnaissance de l’autodétermination du genre, et la mise en place d’un modèle de soins fondé sur la liberté de choix du médecin et le consentement informé.
De ces deux points de vue, le texte de consensus de la HAS marque un progrès historique en faveur de l’autodétermination, reconnue dans le document, comme une capacité par une personne à pouvoir se dire trans, sans nécessité de validation par une personne tierce (par exemple : un psychiatre). Dès lors, les soins d’affirmation de genre peuvent être prescrits sur la base d’un consentement informé et d’une “évaluation personnalisée des bénéfices et des risques”, par un·e soignant·e formé·e.
Il n’apparaît toutefois pas clairement dans le texte que cette évaluation peut et doit être fondée sur les préférences de la personne vis-à-vis des effets de ces soins, quand elle n’est pas effectuée par la personne elle-même. On peut dès lors imaginer une première limite à cette approche censée être centrée sur le patient : l’autodétermination du genre comme droit médical est bornée par un paternalisme médical qui dirait à la place de la personne trans les soins qui sont bons, ou non, pour elle.
Une seconde limite, majeure, est celle de l’introduction d’un “délai de réflexion raisonnable et proportionné”, avant la prescription de soins d’affirmation de genre. Une formulation hasardeuse qui laisserait entendre que la personne ne saurait, en fin de compte, déterminer correctement la conduite de sa propre santé, qu’après un laps de temps inconnu. Néanmoins, le fait que ce délai doit être “raisonnable” semble indiquer, comme c’est écrit ailleurs qu’il “ne doit pas entraîner un délai de prise en charge supplémentaire”, ce qui limite les pratiques abusives de mise en attente indéterminée. Par ailleurs, si l’on recherche une proportionnalité, rappelons qu’en santé sexuelle et reproductive, le délai de réflexion imposé aux avortements était d’une semaine (supprimé en 2016), et que celui imposé à la PMA est d’un mois. En outre, en médecine esthétique, le délai de réflexion prévu par la loi est de 15 jours. S’agissant ici d’une médecine dite “réparatrice”, et non esthétique, il est tout à fait défendable que le délai conféré à la prise de décision soit au maximum de 15 jours, et au minimum dicté par l’urgence médicale.
Des pressions transphobes inacceptables ont causé la sortie de route de la HAS
La CIM-11 adoptée par l’OMS en 2018 prévoit deux diagnostics distincts selon que l’incongruence de genre est présente chez “l’adolescent ou l’adulte” ou chez “l’enfant” (sous-entendu : enfant pré-pubère). Cette distinction vient du fait que pour les enfants pré-pubères, aucun soin médical n’est envisageable, ce qui n’est plus nécessairement vrai à partir de la puberté. La saisine de la HAS par le Ministère de la Santé avait pour but d’accompagner ce reclassement des personnes trans dans le champ de la santé sexuelle. On était dès lors dans l’attente que la HAS intègre séparément les conduites médicales à tenir vis-à-vis des adolescent·es et adultes d’un côté, et des enfants pré-pubères de l’autre.
Cela n’a pas été le cas. Au lieu de cela, la note de cadrage publiée en 2022 par la HAS prévoyait des recommandations pour les 16 ans et plus, et non inclusive de tous les mineur·es, ni même de tous·tes les adolescent·es. Une décision alors inexpliquée, mais qui peut s’entendre à l’aune d’un militantisme très actif de lobbies anti-trans qui auront tout fait pour participer aux travaux (campagnes de mailings, tribunes, pétitions, etc.) et d’en évacuer les soins aux mineur·es. Le texte révèle d’ailleurs la participation de l’association Juristes pour l’Enfance (organisation de juristes proches de la Manif pour Tous et hostiles à la PMA), du Collectif Ypomoni (épinglé pour sa violence et sa transphobie dans une enquête de Mediapart), d’au moins deux signataires de l’Observatoire Petite Sirène (dont des dizaines d’associations LGBT+ et féministes ont alerté sur leur idéologie pro-thérapies de conversion), de deux juristes membres fondateurs de cet Observatoire, de l’auteur d’un pamphlet publié par un éditeur vaticaniste, etc.
Il ne faut pas s’étonner dès lors que dès l’issue de la première réunion du groupe de travail, les noms et la qualité des membres de ce groupe en tant que personnes cis ou trans ont été fuités dans la presse conservatrice. Cet outing, violent, irresponsable, et inacceptable, qui viole définitivement la vie privée de toutes les personnes trans ainsi exposées, est le signe de méthodes brutales qu’on espérait enterrées dans les fosses de l’histoire.
Une autre fuite, organisée dans la même presse conservatrice, a eu lieu à partir de la version de travail remise au groupe de lecture de la HAS. Elle a suscité des réactions durement transphobes d’une partie de la presse et du commentariat, et irrigué une pétition lancée par “l’Observatoire Petite Sirène” pour attaquer les soins dédiés aux mineur·es trans. Celle-ci, remise à la HAS, comptait moins de 7000 signatures. À titre de comparaison, il y a eu près de 700.000 français·es qui ont signé l’Initiative Citoyenne Européenne visant à interdire les thérapies de conversion, notamment à l’égard des mineur·es trans. L’Observatoire, lui, a activement milité contre l’interdiction de thérapies de conversion en France, et produit un document manipulatoire publié par le groupe sénatorial des Républicains, ayant donné lieu à une proposition de loi visant à supprimer les soins d’affirmation de genre aux adolescent·es trans, ce qui aurait ouvert la voie aux thérapies dites “exploratoires”, faux-nez des thérapies de conversion.
L’ensemble de ces actions anti-trans semble avoir poussé Lionel Collet, président de la HAS, à déclarer à la presse qu’il n’y avait “pas de consensus” sur les mineur·es, ce qui justifierait selon lui de supprimer du texte les recommandations initialement prévues par consensus du groupe de travail pour les 16/17 ans. On ne peut que condamner une telle sortie de route par rapport à la note de cadrage, effectuée par complaisance envers des lobbies et des idéologues militant pour une approche correctrice, illégale et néfaste, des personnes trans.
La HAS, en introduction de ses recommandations, annonce : “la population des moins de 18 ans sera abordée dans une autre recommandation”. Nous prenons acte, avec déception, de cette décision frileuse de la HAS, et rappelons que les adolescent·es trans existent, ont droit à la protection et la promotion de leur santé, et qu’il appartient désormais à la HAS de s’autosaisir pour élaborer des recommandations les concernant, en rejetant de façon déterminée l’entrisme inadmissible dont ont bénéficié jusqu’alors des lobbies publiquement transphobes.